L’ASSASSINAT D’HERVE GOURDEL : LES JOURNALISTES ONT-ILS DEPASSE LES BORNES ?

CPM06 6 octobre 2014 0

L’assassinat d’Hervé Gourdel repose les questionnements d’éthique des journalistes lors de la couverture d’évènements à forte charge émotionnelle.

La presse française a refusé de diffuser les images de la décapitation d’Hervé Gourdel
La polémique ressurgit lors de chaque prise d’otage assortie d’images d’exécution. Le 19 août, lors de l’assassinat de James Foley, le New York Daily News et le New York Post avaient provoqué de vifs remous sur les réseaux sociaux américains pour la diffusion non pas de la vidéo de l’exécution, mais des images montrant l’américain, couteau sous la gorge.
À la vue de cette vidéo des lecteurs se sont rassemblés sous le hashtag « ISISmediaBlackout » pour demander aux médias de ne pas la diffuser. Confronté à une telle horreur, et pour ne pas favoriser la volonté de médiatisation du groupe Etat islamique (EI) les autres grands médias avaient refusé toute diffusion.
En France, l’un des rares sites à avoir diffusé la vidéo de l’assassinat d’Hervé Gourdel n’est pas une entreprise de presse mais un site Internet proche de la droite radicale. La vidéo reste également visible sur certains sites de partage de vidéos. Force est cependant de constater que la presse française a été unanime : pas de diffusion vidéo de la décapitation d’Hervé Gourdel

Quelle attitude doit adopter la presse face aux documents de mouvements terroristes ?
Michèle Léridon, la directrice de l’information à l’AFP, dans un texte expliquant les coulisses de la couverture du groupe Etat Islamique précise au JDD que tout document venant de cette organisation terroriste n’est pas systématiquement rejeté.
« Les images de l’EI apportent des informations, surtout quand il est question d’otages, rappelle Michèle Léridon. Il y a des vidéos qui sont des preuves de vie, d’autres qui sont des preuves de mort. Nous ne pouvons pas détourner le regard, ni nous abstenir d’en faire état. Cela soulève de nombreuses questions éditoriales et éthiques. »
Pourtant, l’AFP n’a pas voulu publier ces images. « Il n’y a pas de réponse idéale, poursuit Michèle Léridon. Alors, notre choix, c’est d’être le plus sobre possible, de prendre un maximum de distance (…) Chaque décision de publier ou de ne pas publier est prise au cas par cas, en fonction de l’intérêt informatif et du contexte. Les images de l’EI sont partout sur Internet. Un média peut utiliser cet argument aussi bien pour justifier la diffusion de ces images que pour ne pas les diffuser. A l’AFP, nous estimons que c’est notre rôle de faire un tri, une sélection dans les images. C’est ça, le journalisme. »

En exposant l’émotion suscitée par la décapitation d’Hervé Gourdel, les journalistes ont-ils franchi les bornes ? Obscénité ?
Jérôme Leroy, rédacteur en chef Culture de Causeur qualifie « d’obscène » un reportage du journal télévisé de France 2, réalisé à Saint-Martin-Vésubie peu après l’annonce de la mort d’Hervé Gourdel, originaire de ce village.
« Traitez-moi de cœur de pierre si vous vous voulez mais je ne vois pas l’intérêt de consacrer presque vingt minutes à filmer des amis, des voisins qui ne peuvent qu’exprimer un chagrin qui lui aussi ne devrait appartenir qu’à eux. Les surprendre au moment où les journalistes eux-mêmes leur apprennent la nouvelle comme s’ils attendaient le moment propice pour avoir le meilleur spectacle possible de la douleur humaine. (…) . Ce que je demande à des journalistes, c’est de m’informer, pas de verser de l’huile sur le feu de notre chagrin, à nous tous. Ça ne m’apprend rien, sinon le voyeurisme d’une information transformée en spectacle, mais ça je le savais depuis longtemps. »

Les journalistes n’ont fait que leur travail. Rien de plus ?
Témoignage de Vincent-Xavier Morvan qui a couvert pour le Figaro le 25 septembre la manifestation de Saint-Martin-Vésubie en hommage à Hervé Gourdel, le lendemain de son exécution :
« Je n’ai personnellement rencontré aucun obstacle dans mon reportage, et les habitants, bien qu’éprouvés, n’ont jamais montré de signe d’hostilité à mon égard. Le seul moment où la presse a été prise à partie l’a été à Valdeblore, lors du départ d’un groupe de lycéens pour se rendre à pied à Saint-Martin-Vésubie. L’un des lycéens a alors traité les reporters photographes de « vautours ». Personnellement, étant un représentant de la presse écrite équipé d’un bloc-notes et d’un stylo, je n’ai pas eu de mal à interviewer des camarades du fils d’Hervé Gourdel, scolarisé dans ce lycée de montagne, pour enregistrer leur témoignage.
Le samedi 27, j’ai couvert pour l’AFP l’hommage rendu à Nice. Là encore, aucune difficulté, aucune hostilité envers la presse. En revanche, à un moment donné, un photographe de presse a demandé à des gens qui défilaient silencieusement de s’écarter parce qu’ils le gênaient pour sa photo. J’avoue avoir ressenti un certain malaise. En conclusion, il m’a semblé tout à fait possible de faire son travail, dès lors que l’on est un tant soit peu respectueux, surtout dans un tel contexte. »
De son côté, Matthias Galante, correspondant du Parisien Aujourd’hui en France, estime que les médias n’ont pas « franchi les bornes » :
« On reproche souvent à la « meute » de journalistes d’en faire trop, de chercher à tout prix le « sang et les larmes ». Durant mes 48 heures à Saint-Martin-Vésubie, j’ai trouvé que l’ensemble des médias a fait preuve de retenue sur le terrain en interrogeant calmement les habitants, en respectant l’angoisse durant l’ultimatum et l’émotion sincère des uns et des autres lorsque la terrible nouvelle de la mort d’Hervé Gourdel est tombée.
Je n’ai pas vu de brutes épaisses tout tenter pour obtenir des témoignages. Il n’y a également pas eu d’engueulades entre confrères ce qui est plutôt rare quand il y a une telle densité de journalistes au mètre carré. Il faut aussi remarquer que la mairie a tout fait pour que nous puissions travailler correctement en mettant spontanément une salle à notre disposition » .

Paul Barelli

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